In memoriam Marc RIVIERE (14 novembre 1926 – 18 février 2017)
Par Claude MARODON, Dr. en pharmacie, président de l’APLAMEDOM
Je souhaite rendre ici un sincère et très personnel hommage, par-delà les innombrables louanges, justifiées qui ne manqueront pas de s’exprimer, à mon collègue, confrère, ami, maître et complice Marc RIVIERE.
Même si l’exercice est difficile, et si on devait te caractériser, il me vient trois qualificatifs : généreux, intègre et intarissable.
Je me souviens du jour où nous nous sommes rencontrés pour la première fois il y a 38 ans, à ta pharmacie à St-Louis. J’étais venu te demander conseil pour mon installation. Tu étais le premier pharmacien de l’île à avoir aménagé un stockage en tiroirs. Tu étais déjà précurseur et moderniste.
Généreux dans tes conseils, je découvre à cette occasion que nous avions le même maitre en Botanique et Cryptogamie, le Professeur Guy PRIVAT de Montpellier, et son assistant Claude ANDARY, spécialiste des champignons. Tu racontes, avec un certain amusement, que tu le fis travailler un soir de réveillon de NOEL, à son laboratoire, pour préparer les lamelles de microscope des champignons frais que tu avais ramenés de l’île de La Réunion, pour détermination.
Lors de tes études après la grande guerre de 39-45, par nécessité, pendant les vacances, tu es allé travailler en Suisse allemande chez un fleuriste où le travail était rude de 6h à 21h, et même après le repas du soir. La seule consolation était un repas copieux de pommes de terre et charcuterie servi par l’épouse du fleuriste, qui t’avait pris sous sa protection. Tu aimais à raconter, non sans malice, comment tu avais profité d’une livraison à la ville de couronnes mortuaires, l’exemple est bien mal choisi pour en parler, pour prendre la liberté de visiter la ville pendant une journée entière, sous prétexte que tu t’étais perdu … Tu savais d’où tu venais, et c’est certainement pourquoi tu étais généreux, surtout lorsque les patients de ta pharmacie étaient démunis, ou que tu sentais qu’un jeune chercheur ou étudiant avaient besoin d’aide. Nombreux sont ceux qui ont bénéficié de ta générosité, sans que tu le fasses savoir.
A l’époque, ce qui m’avait frappé, c’est ton indépendance d’esprit et ta recherche de solutions professionnelles pour l’approvisionnement des médicaments à l’île de La Réunion. Tu n’aimais pas les situations de monopole et avec tes amis collègues, tu défendras ce point de vue en gardant ton sens critique, et ta liberté de paroles et d’actions.
De même, en politique tu étais un homme de conviction, fidèle et intègre et je laisserai à d’autres, comme Jules BENARD, qui a mieux connu cette époque, le soin d’en parler. En rapport avec la toxicité des plantes, tu aimais à raconter ce jour d’élections, où tu avais été amené à soigner dans ta pharmacie de garde, des élus de Cilaos empoisonnés par du pignon d’Inde par des partisans adverses peu scrupuleux.
Cette rigueur, tu en as fait ton principe de travail sur les plantes médicinales de notre île. Un travail scientifique basé sur des faits, sans l’aide d’internet, en exerçant ton expérience de terrain, ta compétence, ton esprit critique, ton indépendance, ton impartialité, ta liberté de parole. Ton credo : « pas de compromission ». Une démarche respectueuse de l’Ethique et de notre serment de Galien.
Tes travaux, souvent financés personnellement, ont permis la détermination d’espèces endémiques intéressantes : le café pointu, les Aloès, les « ambavilles », le bois de pêche marron, et bien d’autres.
C’est d’ailleurs pour cela que le conseil scientifique composé de toutes les régions des outres mers français, lors du congrès CIPAM de 2014 à La Réunion, t’a décerné le prix « ambaville » récompensant ton engagement, et ton œuvre sur la recherche des Plantes médicinales endémiques de l’île.
Tu as concrétisé ces travaux dans plusieurs ouvrages, dont le cheminement reflète tes découvertes, tes compétences et tes objectifs : faire partager ton savoir au plus grand nombre, avec les précautions nécessaires.
Le tout premier sur « le café pointu de Bourbon » (et non Bourbon pointu) nous fait découvrir notre vrai café endémique, avant l’arabica qui a fait la renommée de l’île Bourbon, et avant la canne à sucre. Puis avec le GRATHER, celui sur l’analyse objective, on dirait aujourd’hui, une relecture critique des « plantes médicinales de la Réunion, à la belle époque » de l’instituteur DUCHEMANN, qui les avait recensées, sur commande de l’Exposition Universelle de 1900. Tu avais montré ses limites et démontré qu’une approche thérapeutique globale, pluridisciplinaire était nécessaire, pour éviter erreurs de diagnostic, et remèdes mal compris et dangereux. En 2007, c’est le livre sur « les amis et faux amis », étude sur le danger de confusion des noms vernaculaires, c’est-à-dire les noms populaires des plantes et tu soulignes l’importance de bien déterminer avec précision les espèces, sous-espèces, variétés et types. Ces travaux font autorité. En 2012, c’est l’ouvrage sur « les Plantes Toxiques », aboutissement de ton travail sur les dangers que tu ne cesses de proclamer dans tes conférences et interventions. Tu ériges le principe de précaution, « Primum non nocere », qui signifie « d’abord, ne pas nuire », comme règle de base avant toute utilisation, et avec des tisaneurs sérieux, tu démontres certaines toxicités chroniques (cachées jusqu’alors). A ce propos, tu déclarais : « il y a énormément de travail à faire si l’on veut assurer la sécurité de notre population ». A compte d’auteur, preuve de ton implication, tu publies « Le répertoire exhaustif des plantes médicinales » réédité en 2016 et base de travail de tout chercheur. Pour cette année, tu préparais une réédition des « Amis et Faux Amis », et nous travaillions sur ton prochain ouvrage sur « les histoires extraordinaires des plantes médicinales » répertoriant tes notes sur toute ta carrière, avec des anecdotes croustillantes et bien sûrs tes conseils. D’autres projets en préparation sont bien avancés et pérenniseront ton œuvre, avec les jardins thérapeutiques et le sentier des plantes médicinales de La Réunion.
Nous animions aussi des chroniques à la radio avec Dédé Maurice et Kakouc, ton tisaneur attitré à l’Entre-Deux. Les questions des auditeurs foisonnaient et faisaient exploser le standard téléphonique. Si les allégations pouvaient faire prendre un risque pour la Santé Publique, tu n’hésitais pas à faire un rappel à l’ordre, et toujours suivi de conseils précis sur la démarche pour se soigner sans danger. Tu ne te satisfaisais pas de critiquer de façon constructive, mais tu allais au fond des dossiers et, si besoin les vérifier, en abordant tous les sujets. Cette approche globale au service des autres te rendait accessibles à tous et tout le monde souhaitait t’exposer leurs soucis et leurs problèmes, même chez toi, à l’Etang Salé Les Bains.
C’est là qu’avec ton épouse, tu avais établi ton havre de paix et de quiétude. Tu répondais à un journaliste qui te demandait quel est votre endroit pour vous ressourcer ? ta réponse : « moi, je me ressource dans mon jardin », c’était ton fleuron, ta fierté, ton panache, ta médaille : l’endroit incontournable des professeurs, étudiants, doctorants, chercheurs, adeptes et passionnés, congressistes, et toute la communauté scientifique internationale de passage qui tenait à passer le visiter avec toi. Ce jardin mériterait, à lui seul d’être inscrit à notre patrimoine créole réunionnais.
Comme Jean Marie PELT, pharmacien, fondateur de l’Ecologie en France, tu avais le soin de préserver les ressources et de faire attention aux équilibres. Tu affectionnais particulièrement ton village de pécheurs où tu aimais marcher sur la plage, t’asseoir sur un banc et respirer « le bon air ». Fervent précurseur du recyclage, ton personnage préféré était « NONO le sourd », qui ramassait toutes les bouteilles vides qu’il transportait dans son « bertel » dans son dos.
Aujourd’hui, je me permets de parler au nom des associations que tu as conseillées, pour te rendre un infini hommage pour ta générosité dans tes conseils et ton dévouement à la cause des plantes médicinales endémiques de l’île. Tu as ta contribution dans l’inscription de ses plantes à la Pharmacopée Française, ce qui a permis à La Réunion d’être émancipée comme les autres régions de France. Un rêve dont tu as pleinement coopéré de ton vivant.
Tes deux dernières conférences seront une vraie leçon de Plantes Médicinales : celle d’Octobre 2016 aux Florilèges et celle de Janvier 2017 lors des Plantes endémiques, au Tampon, où tu retrouveras ton ami de longue date, Monsieur André THIEN AH KOON. Tu y évoqueras ton domaine préféré : celui de la mise en garde par l’exemple. Pour le « bois de rempart », tu déclareras : « Celui qui boit ça, il peut prier le Bon Dieu ». Cette phrase résume simplement toute ton œuvre.
A toi Marc, pour qu’à jamais, ton empreinte reste gravée dans nos mémoires, Repose en Paix, tu vas rejoindre tes parents et ton fils Bernard trop tôt disparu, événement qui t’avait profondément affecté, au paradis des Plantes, au paradis des « Simples » comme tu aimais à le dire, et j’imagine un grand jardin à l’ombre des bois de Senteur qui t’ont accompagné toute ta vie !
A madame RIVIERE, à ses enfants Claire, Robert, Marie Hélène, et Martine, à tes gendres et belle fille, à tes petits enfants, à tes proches, je vous adresse mes plus sincères condoléances, et aussi,
A ton ami et voisin, le Dr BENOIT et ceux qui t’ont accompagné jusqu’à la fin, à la maison, ainsi que tout le personnel médical et paramédical, à domicile comme à l’Hôpital de St-Pierre qui t’ont prodigué soins et soutien, toute notre reconnaissance.
A tes amis de l’APN, qu’ils continuent à t’honorer et suivre tes conseils, avec une mention spéciale pour celui qui s’occupait de ton jardin.
A tes supporters des « verts » de La Saint-Louisienne, gardez bien sa mémoire, il s’est tant dévoué pour son club. C’est pour vous un exemple de pugnacité et de combativité.
Aux amis de l’Université, qui t’ont accueilli, pérennisez ses travaux
Aux amis du monde entier des congrès CIPAM, avec qui tu échangeais et partageais tes connaissances, nous te regretterons à jamais.
Aux amis du GRATHER, Groupement de Recherches sur l’Archéologie et l’Histoire de la Terre Réunionnaise qui t’ont permis de démarrer de nombreuses études,
Aux amis de l’APLAMEDOM, de l’ADPAPAM et de la CAHEB que tu as guidés et suivis et avec lesquels nos rencontres et visites avaient ce parfum d’éternité.
Enfin, A tous connus ou anonymes, qui ont bénéficié de tes conseils,
Je t’offre cette pensée de notre célèbre Jean-Marie PELT qui te va si bien : « Que rien ne te trouble, que rien ne t’épouvante, tout passe. Dieu ne change pas, la patience obtient tout. Qui a Dieu, rien ne lui manque, Dieu seul suffit »